Vous vous demandez si le react est légal ou si vous avez le droit de streamer le dernier épisode de One Piece sur votre chaîne Twitch ? Ce sont des questions qui sont souvent revenues suite aux vidéos que j’avais faites sur le DMCA et la musique. Donc pour ne pas raconter n’importe quoi, je me suis renseigné et voici la synthèse de qu’il faut retenir concernant les droits d’auteur sur Twitch.

Disclaimer

Pour les besoins de cette vidéo, j’ai été en contact avec Me Chomiac de Sas, avocat au Barreau de Paris et enseignant spécialisé dans l’accompagnement des professionnels dans les domaines du droit des nouvelles technologies, de la communication et de la publicité. Je préviens à l’avance mais les échanges que j’ai pu avoir avec Me Chomiac de Sas ont donné lieu à des références vis-à-vis de la législation française, je n’ai pas les subtilités d’autres pays francophones et il faudra vous référer à leurs propres lois. Mais donc on va s’intéresser au streaming en France, sur Twitch, et à un streamer français.

Je précise également que j’ai contacté Twitch pour avoir une confirmation de leur position officielle et me renseigner sur les sanctions éventuelles, mais je n’ai toujours pas de réponse suite à un mail envoyé le 27 décembre 2021, donc je ferai simplement référence aux Lignes de conduite de la communauté de Twitch.

Dernière chose, pour ceux qui douteraient de mes intentions, je ne pars pas en croisade contre les streamers qui font du react ou qui diffusent des animes. Évidemment ça m’ennuie, pour plein de raisons, mais surtout du fait de ma position et de l’orientation de cette chaîne YouTube, quand l’un d’entre vous me pose la question de savoir si c’est légal ou non de faire du react ou de streamer Naruto sur Twitch, je ne peux clairement pas dire « Vas-y c’est OK, tu risques rien ». Donc non je ne fais pas cette vidéo pour faire la morale à qui que ce soit, j’ai décidé de la réaliser dans un but pédagogique et de mise en garde sur les risques que vous prenez si vous décidez malgré tout de faire du react, de diffuser un film ou un anime sur votre chaîne. Et donc maintenant que c’est dit, on va essayer de donner un cadre à cette nouvelle méta qui est à la mode en ce moment sur Twitch : « méta TV ».

Le Cadre

Twitch est détenu par Amazon, c’est donc une société américaine, soumise à ses propres lois, qui sont plus ou moins indiquées dans les Conditions Générales d’Utilisation du site et qu’on retrouve sous la forme de ces fameuses Lignes de conduite de la communauté disponibles publiquement. Mais Twitch propose ses services à des Français, et peut donc être soumis à législation française, ce qui fait qu’au final, pour un streamer français, c’est plutôt le droit français qui sera appliqué. Et je vous épargne les subtilités, les notions de territorialité, la nationalité de l’ayant droit, ça devient vite complexe, retenez simplement que pour un streamer français diffusant du contenu d’un ayant droit français (par exemple TF1), qu’il habite en France ou à Malte, c’est le droit français qui s’appliquera. Et du coup, les Lignes de conduite de la communauté de Twitch, à la limite on peut voir ça comme un règlement intérieur, avec des choses à faire et à ne pas faire. Mais au final, c’est essentiellement la loi française qui s’appliquera en cas de litige, tout simplement parce que Twitch est l’hébergeur, et que le streamer est l’éditeur, et c’est généralement l’éditeur qui risque de se faire poursuivre.

L’objectif de Twitch est qu’il y ait de plus en plus de monde sur son site, c’est une logique commerciale, tout le monde aura compris ça. Que ce soit bien ou pas, que ça dénature ou pas l’image de Twitch sur le long terme, ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est que pour remplir cet objectif, Twitch va donner un maximum de liberté de contenu à ses utilisateurs, et au final se « contenter » de faire de la modération. Pourquoi ? Eh bien déjà à cause du streaming en lui-même, ça se passe en direct, donc il faudrait énormément de moyens pour faire de la modération en temps réel vu le nombre de streams en simultané sur Twitch. Les seuls moments où vous voyez de la modération, c’est quand il y a un signalement. Et en général, pour que ça interpelle la modération, il faut que ce signalement soit répété et potentiellement massif. On suppose que c’est ce qui s’est passé récemment avec Samuel Étienne qui s’est fait bannir pour avoir montré une couverture d’un vieux magazine Playboy sur laquelle on voyait un bout de fesse, même si ce n’est pas le sujet de la propriété intellectuelle ici, mais c’est aussi arrivé à des streamers ayant voulu retransmettre les JO de Tokyo, ils n’avaient pas les droits de diffusion, donc se sont fait strike. Ça s’arrête là, ce n’est même pas une question de censure, c’est juste une question de respecter la loi. Et comme je le disais, cette nouvelle « méta TV » est en plein essor en ce moment, du coup ça commence à bouger un peu.

Les bons élèves

En début d’année 2022, la streameuse Pokimane s’est fait bannir de Twitch après avoir été notifiée d’un strike DMCA, suite à un stream durant lequel elle avait regardé Avatar: Le dernier maître de l’air. Le comble de l’ironie étant qu’elle avait titré son stream, je traduis : « Nous allons enfin le faire… avec un peu de chance tout se passera bien » (We’re finally gonna do it… hopefully nothin crazy happens.). Rappelons qu’Avatar est un anime japonais, une œuvre soumise aux droits d’auteur, donc en toute logique la loi est du côté des ayant droits, rien à dire. Pokimane a d’ailleurs réagi par la suite en tweetant qu’elle trouvait la sanction logique et qu’elle ne considérait pas ce qui c’était passé était injuste. Réaction mature. D’autres ont également reçu des strikes, notamment pour avoir streamé l’émission Master Chef, et ont décidé de… ne plus le faire, et ils ont bien entendu raison.

Le cancre

Le cas xQc est intéressant aussi. xQc est l’un des plus gros streamers sur Twitch et il diffuse depuis quelques temps l’anime Hunter x Hunter (un excellent anime) et a fait du react sur l’émission Master Chef, et malgré les avertissements et déjà des strikes à son actif (récemment en juillet 2021 pour avoir tenté de diffuser les JO de Tokyo), il a publiquement déclaré qu’il continuerait à tout diffuser en disant que ça ne changerait rien, que même s’il prenait des strikes il ne serait jamais banni définitivement de Twitch. Son argument principal étant que tout le monde le fait, et que donc lui aussi à le droit.
Et c’est dommage de voir des streamers avec autant d’influence adopter ce type de comportement. Provoquer comme ça, c’est le meilleur moyen d’attirer l’attention des ayant droits, et je pense très sincèrement que son comportement fait du tort à la plateforme, y compris en termes d’image. Bon, à titre personnel, si ça peut permettre à Twitch de passer un coup de balai, je ne suis pas contre. Si on voulait que ça aille plus vite, on pourrait même lui suggérer de streamer du contenu Disney, vu que Disney a l’une des politiques les plus agressives en matière de droits d’auteur et surtout de préjudice imputés à son image.

Donc une chose est sûre, ça finira par arriver chez nous, au même titre que les maisons de disque ont commencé à user du DMCA depuis deux ans, les ayant droits des émissions de télé ou des animes japonais vont s’intéresser de plus en plus à cette zone un peu grise qu’est Twitch, et le brouillard va finir par se lever.

Que dit la loi ?

Le code de la propriété intellectuelle définit ce qu’est le droit d’auteur, ses conditions, son application, etc. Et au même titre qu’aux États-Unis il existe le « fair use », en France il existe des exceptions au droit d’auteur. Elles sont définies par l’article L122-5 du CPI et il en existe 13, et dans celles qui pourraient éventuellement nous intéresser, on trouve :

  • analyse et courte citation *
  • revue de presse *
  • parodie

* ces exceptions nécessitent systématiquement d’indiquer le nom de l’auteur et la source

Pour le cas des films ou des animes, c’est simple au possible. Diffuser un film ou un épisode complet, ce n’est pas une courte citation ou une analyse, ce n’est pas une parodie, ça ne constitue aucune exception au droit d’auteur. Là aucune hésitation possible, c’est tout bonnement illégal.
Pour le react, c’est relativement simple aussi, ce n’est pas une parodie, ce n’est pas une courte citation non plus quand on diffuse une émission complète de C’est mon choix, et le seul point où on pourrait douter un peu, c’est l’analyse justifiée par le caractère critique. Eh bien de l’avis de Me Chomiac de Sas, de ce qu’on peut voir globalement du react et de la façon dont c’est fait, et je partage ce point de vue, ça ne rentre pas non plus dans le cadre des exceptions au droit d’auteur. C’est donc techniquement illégal, là aussi, et les streamers doivent disposer d’une autorisation pour pouvoir faire ça.
À titre de comparaison, pour vous donner une idée de ce qui est autorisé, on peut prendre l’exemple du Fossoyeur de films. Ce youtubeur utilise des extraits du film, met sa voix par-dessus et analyse littéralement et critique l’œuvre. Ça c’est OK, on est totalement dans les exceptions au droit d’auteur, d’autant que comme cela est requis, les noms de l’auteur et de la source sont cités. Mais regarder Évelyne Thomas demander à quelqu’un s’il aimerait se faire tatouer le fion et réagir en disant qu’on adore les tatouages, ce n’est ni une analyse, ni une critique de l’œuvre. Donc non, ça ce n’est pas OK.

Les risques

Au niveau des risques encourus, ils peuvent se faire à deux niveaux. Si Twitch décide d’agir, vous risquez une suspension de votre chaîne, un ban, au moins temporaire. Ce fut le cas pour Pokimane qui a été bannie pendant 48h. D’aucun diront « seulement » 48 heures, mais c’est un autre débat.
Mais l’autre risque vient du fait que le streamer est considéré comme un éditeur, et donc si un jour, par le plus grand des hasards, une boîte voulait s’en prendre à un gros streamer parce qu’il commence à gagner trop d’argent avec un contenu qui ne lui appartient pas, eh bien la raison évoquée serait tout simplement que ce streamer utilise une œuvre sans en détenir les droits, et il serait alors poursuivi pour contrefaçon.
Et j’ai donc demandé à Me Chomiac de Sas les peines encourues, eh bien les sanctions pénales peuvent aller jusqu’à 300 000 € d’amende et 3 ans de prison (voire davantage en cas de circonstances aggravantes). Alors ce sont les peines maximales et ça peut être une peine de prison avec sursis, certes, mais ça fait quand même réfléchir, sans compter que ça sera inscrit sur le casier judiciaire. Et personnellement, je n’ai pas du tout envie de jouer avec le feu en espérant que je ne me ferai pas prendre, j’aime bien le poker mais pas à ce point.

Le cas du jeu vidéo

Il n’y a pas d’entité globale qui représente le jeu vidéo, contrairement à la musique où on a la SACEM, ou la RIAA aux États-Unis, c’est donc chaque éditeur qui définit sa politique en matière de réutilisation de ses œuvres. Par exemple, Devolver propose carrément un site où vous pouvez obtenir une autorisation écrite de leur part pour diffuser leurs jeux. Nintendo prévoit également d’autoriser le streaming de ses jeux sous certaines conditions. Mais un jeu appartient bien à quelqu’un, il y a donc des droits, et là aussi, techniquement, les éditeurs pourraient, s’ils le voulaient, intenter des procédures.

Et si les éditeurs de jeu font le choix de ne poursuivre personne, il faut voir cela comme une tolérance extrême, une tolérance qui les arrange puisque ça leur fait une publicité gratuite et peut permettre aussi de vendre des produits dérivés plus facilement par la suite. Il arrive d’ailleurs très fréquemment que les éditeurs offrent des clés de leurs jeux voire carrément donnent de l’argent à des streamers pour qu’ils jouent à leur jeu en live, c’est bien la preuve que la tolérance arrange tout le monde. Les développeurs d’Among Us, croyez bien qu’ils étaient ravis que les streamers diffusent leur jeu, ça a boosté les ventes de façon incroyable.

Donc il faut bien prendre conscience de cette notion de tolérance qui est appliquée pour le jeu vidéo ici, et qui est beaucoup moins présente sur des contenus comme la musique, on le voit bien depuis deux ans, ou le contenu audiovisuel, et là on est en plein dedans, c’est en train d’arriver.

Le nerf de la guerre

Donc au final, c’est de la tolérance avec une logique économique, comme bien souvent, c’est l’argent qui est au centre de tout. C’est d’ailleurs en partie pour ça que TF1 ne va pas porter plainte quand un streamer diffuse Koh Lanta, le streamer sera juste strike mais ça n’ira pas au tribunal, car il n’y aurait tout simplement pas d’argent à se faire pour TF1. Et on en revient aux risques, car même si, encore une fois « techniquement » il pourrait se passer des choses, pour l’instant et tant qu’il n’y a pas de gros signalement, ça passe encore sous le radar. Donc risque limité pour l’instant. Pas nul, mais limité. Mais risque quand même.

Parce qu’il s’est passé la même chose avec la musique et ça arrivera pour le reste, c’est une certitude. Et comme d’habitude il faudra attendre des sanctions pour que ça bouge, parce que là c’est encore relativement calme donc tout le monde pense que c’est safe, mais bientôt on verra des streamers perdre leur outil de travail et ils se retrouveront comme une poule avec un cure-dent. Parce que le jour où une boîte se dira qu’il y a de l’argent à prendre parce qu’un streamer utilise leur contenu sans leur accord, croyez bien qu’ils le feront, et ils seront totalement dans leur droit. Donc à vous de voir si vous voulez tenter le diable ou rester dans les clous, mais sachez que tôt ou tard, ça finira par être encadré, et risquer de tout perdre juste pour faire un peu d’audience à un instant T, c’est à mon sens un mauvais choix de carrière et une vision très court-termiste du métier de streamer.

Attirer l’attention ?

J’ajouterai que le risque d’attirer trop l’attention là-dessus, au final c’est d’avoir de plus en plus de contraintes et de moins en moins de liberté. Donc si jamais Twitch serre la vis pour éviter les procès, et que les streamers n’ont plus aucune liberté dans leur contenu, vous pourrez remercier tous ceux qui auront contribué à plomber la plateforme en agissant sans penser aux conséquences. Mais je n’insiste pas trop car comme je le disais en préambule, je ne veux pas passer pour le moralisateur de service, c’est juste que c’est un peu pénible quand on informe et qu’on prévient, et que malgré ça on constate que des streamers ne sont toujours pas au courant, ou dans le pire des cas, comme xQC, ils n’en ont juste rien à faire. Et là ce n’est même pas que ça devient frustrant, c’est que ça devient triste.

On pourrait même s’interroger pour se demander à quel moment ça a dérapé ? Y’a un gars un jour qui a décidé de prendre une émission télévisée, de la diffuser sur sa chaîne Twitch et de faire des commentaires dessus. Comme on ne lui a jamais rien dit, il a considéré que c’était OK, et depuis d’autres streamers se sont engouffrés dans la brèche sans se renseigner. Naissance de la méta TV. Pourtant, et ce n’est pas pour remuer le couteau dans la plaie, c’est écrit noir sur blanc dans les Lignes de conduite de la communauté de Twitch qu’il est interdit de diffuser des programmes télévisés !

 

En tout cas, j’ai essayé de mettre un peu de lumière sur un aspect du streaming qui n’est pas forcément très simple à aborder, la loi peut vite devenir complexe, le droit d’auteur en particulier, mais au moins maintenant vous avez toutes les cartes en main, en tout cas pour ceux qui ont regardé cette vidéo. Et si jamais vous croisez quelqu’un qui se pose la question de savoir s’il peut diffuser telle ou telle chose, on peut résumer de façon grossière : soit vous avez les droits ou une autorisation des ayant droits, et là c’est OK, soit vous n’avez ni l’un ni l’autre, et là c’est un délit, et aux yeux de la loi ça sera qualifié comme étant de la contrefaçon.

Je remercie à nouveau Me Chomiac de Sas d’avoir pris le temps de me répondre, nos conversations étaient très enrichissantes, vous trouverez le lien du site internet de son cabinet dans la description de la vidéo. Si vous voulez discuter du sujet, je vous invite à le faire en commentaire de la vidéo, ou pourquoi pas à venir en discuter quand je suis en live sur Twitch, la porte est ouverte, c’est quand vous voulez. Sur ce, c’est la fin de cette vidéo, on se retrouve très vite pour la prochaine, et d’ici-là… bon stream !

Crédit miniature : https://twitter.com/Zeneles